Empirium NOVA

[Corposs]

Une large pièce vide de tout meuble. Un sol pavé de dallage noir et froid. L’un des murs était de verre blindé, ouvert sur les étoiles. Face à cette baie vitrée, un Seigneur masqué d’un casque en forme de crâne.

Le Seigneur semblait observer le cosmos ; c’était en fait les pensées émises par les innombrables habitants de cet univers qu’il captait, en tentant d’en comprendre la logique globale.

La porte située derrière lui coulissa et une créature masquée d’une plaque d’acier pénétra dans la vaste salle. Il tirait une chaîne de métal reliée au cou d’un humanoïde à la peau pâle et aux cheveux gras. Celui-ci était sans aucun doute humain, habillé d’une tunique crasseuse. Son visage boutonneux était marqué par un regard vide, non seulement par son expression mais aussi par l’absence flagrante de pupilles.

- « Mon Seigneur » énonça l’homme au masque d’acier, dans un étrange accent aux échos océaniques, « Permettez-moi tout d’abord de vous dire que nous faisons notre possible. Mais étrangement la technologie de reconversion semble… euh… inaproprié à cet univers. »

Reconversion. Cette technologie ancestrale était l’une des merveilles du peuple Seigneurial, créée par la Maison de Kell disait-on, encore que Corposs pensait que ceux de Vorsiadis en étaient les véritables concepteurs théoriques. Sa finalité était simple : une forme de lobotomisation du sujet afin de reconvertir ses pensées et donc son allégeance. Son application, en revanche, demandait une mise au point complexe à chaque univers où les Maîtres débarquaient. Une histoire d’harmoniques dimensionnelles, ou quelque chose dans le genre... Le Seigneur n’en connaissait pas le fonctionnement exact et à vrai dire, s’en moquait complètement.

- « Inaproprié ? » Répéta-t-il en se tournant vers son interlocuteur.

- « Inaproprié ou mal adapté, oui… Voyez par vous-même. »

Le second tira brusquement sur la chaîne et le prisonnier qui y était attaché avança précipitamment de quelques pas avant de rester à nouveau apathique, le regard vitreux. L’Être prit le temps de l’observer attentivement. Rien ne le distingue d’un quelconque reconverti des univers précédents, pensait-il. Il avait l’air hagard, certes, mais ce n’était pas la première fois que ça arrivait, notamment sur les sujets les plus récalcitrants au processus.

- « Il ne réagit qu’aux ordres simples, Seigneur. Comme… comme un chien. »

- « Comme un chien ?! »

- « Je vous en prie, essayez par vous-même. »

Le Seigneur prit un temps de réflexion avant de se décider à lancer un ordre :

- « Assis ! ».

Le reconverti posa les genoux au sol avec un beuglement proche d’une créature bovidé tandis qu’un filet de bave coulait doucement du coin de ses lèvres.

Le Seigneur inclina légèrement la tête sur le côté, l’air intrigué.

- « Couché ! » poursuivit-il.

L’humain se recroquevilla en une position foetale et ferma les yeux en portant un pouce sale à sa bouche humide. Un bruit de succion suivit. Le Seigneur tourna doucement autour de lui en le fixant avec attention. Cela avait un côté burlesque. Après tout, les reconvertis étaient sensés obéir aux moindre de ses ordres, mais pas de là à être aussi pitoyable…

- « Et… est-ce toujours ainsi ? » demanda-t-il.

Le second sembla mal à l’aise pendant un instant.

- « globalement… », finit-il par répondre, « Du moins pour ceux qui sont aptes à bouger. On a toutefois noté d’autres disfonctionnements sur certains sujets.» S’empressa-t-il d’ajouter, probablement pour signifier que l’échec n’était pas total.

- « Je vois. Eh bien continuez les expérimentations et tâchez de régler le mode de reconversion en conséquence. Je veux bien tolérer un temps d’adaptation technologique à Empirium, mais certainement pas à servir les repas moi-même. »

Le second tira sur la chaîne du reconverti pour le relever, puis inclina la tête en direction de son supérieur avant de quitter la pièce. Un nouveau râle s’étouffait derrière la porte qui se refermait sur eux. Le Seigneur se dressa à nouveau devant la vaste baie vitrée. Il s’interrogea un moment sur ce qu’il avait vu jusqu’à ce qu’une mélodie, happée dans le brouhaha sidéral, virevolte à son esprit. Il s’amusa à la fredonner :

« pom pom pom pooooom…. pom pom pom pooooom ! ».